Nicolas Zur1
Je ne sais qu’écrire : en revenir aux carrefours initiaux. Alors. C’est toujours recommencer. Au cœur même. Je me suis tourné vers la peinture par fatalité, je dirais. Par dégoût du dressage éducatif. Par la Lettre. Alphabétique et diaphane, cumulative et impériale. De son abstraction. Et contre toute police. Celle qui rédige des PV. Une haine ? Un malaise originaire contre toute forme d’expression capitale. Articulée par l’homme je veux dire, l’homme humain, et sa société. Son empire du visible, son Icônomie. Le dégoût prévaut. Le manque d’appétit. J’ai une dalle énorme.
J’aime la géographie. Contre l’art humain. Contre la culture. Contre ce qui plane. Contre le hors-sol. Contre le marché, bien sûr, contre le marché de l’art. Ça fait beaucoup de contres. C’est bien négatif tout ça. Un sentiment de non-appartenance invasif à tout ce petit monde, se résolvant partiellement par des agressions. D’insignifiantes et dangereuses agressions. Des agressions vives contre le langage mort, disons. Je n’en ai pas fini d’agresser.
C’est une bête inclination vers le côté physique des choses. Qui vient bien évidemment d’une sévère mutilation. J’essaye simplement des issues pour mon corps. Comme je cherche à survivre à une armée de doubles. Rien que de très banal, cette impuissance.
Je cherche des gestes, à tâtons, décrochés de la parole. La toile est au sol. Des gestes de matière. C’est la peinture qui prend le pouvoir. Les composantes, les manutentions, les lignes, la pâte, les réactions physico-chimiques des éléments entre eux, substances réfractaires qui m’existent, qui m’extasent. Matières d’enchantement, puissances d’évocation. Il faut des mains à l’écriture qui s’écrit, une main qui tienne entre le geste et la parole. Des tracers de la matière. Qui ne soient pas vraiment de mains mais de l’œil dans les mains dans le délire. Immersion dans les matières. Engloutissement parfois. Je suis englouti par la toile en train de se faire. En sortir. En faire un milieu, forcément inachevé. Tout le corps. Un corps autre. En grattant, en brossant, en étalant, en griffant, en touchant, en coupant, en collant, en liant et déliant. Des grains de vériter, parfois, arrivent. Mais souvent ça rate, et on ne sait pas pourquoi. Quelque chose ne va pas.
Trouver un là, radical, coupé du monde d’ici. Il existe d’autres corps. Expérience, échappée. Matière d’entre. J’ai deux ans, en peinture. Tout cela est très récent. Brutal. Aucune formation… nul. Repérer les indices. Des machins furent glanés, çà et là. Je les agence dans la pièce (une petite pièce, mon lieu de vie, non pas un atelier, ou alors : tout mon lieu de vie devient atelier). Je m’environne d’impossible.
Commencer nous échappe. Les pigments me fascinent, leurs provenances. Les parsemer, les lier avec du jaune d’œuf, ou de l’huile de lin, et c’est très étrange ce qui se passe. Mettre en relation, que ça ne s’effondre pas tout à fait, à vrai dire. Mettre en relation, sans cap. Émerge ce qu’il y a « là », et dont « nous » aurions perdu la mémoire. Je suis bien obligé de continuer, le dos au résultat. J’écris encore un truc à partir de l’enfant à l’orée du tableau.
- Nicolas Zur vit, écrit et peint entre Liège et les Cévennes. ↩︎













